La culture sans labour ou le non retournement
Pourquoi retourner la terre ?
Retourner la terre lourde, collante et argileuse du Perche est un vrai challenge, et pas seulement pour une femme de petit gabarit. On peut certes y voir un exercice de plein air, mais les méfaits pour le dos du bêcheur sont indéniables.
Il y a pourtant de bonnes raisons pour le bêchage d’un sol lourd, la principale étant que le gel de l’hiver casse les mottes et rend la terre friable et moelleuse à souhait. Quel bonheur alors de tirer son râteau sans résistance à travers cette matière molle. Mais sur sol argileux le bonheur est de courte durée, car dès que la terre sèche une croûte dure se forme et rend les opérations plus difficiles.
L’autre bonne raison (à première vue) pour le retournement de la terre est l’enfouissement des mauvaises herbes. Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de garder le dessus sur les adventices, surtout en fin de saison. Pendant que l’on récolte les courges, blanchit les haricots et congèle les tomates, ils profitent des sols libérés, du soleil encore chaud et des pluies d’automne pour s’installer « en douce ». Le printemps venu, on aura alors du mal à distinguer chemins et parterres et on regrettera d’avoir raté le bon moment pour bêcher à l’automne.
La culture sans labour propose une autre façon de faire : on ne retourne plus la terre mais on laisse faire les vers.
Pourquoi ne pas retourner ?
L’idée est de ne plus déranger la terre et de confier l’aération du sol aux vers de terre et autres organismes souterrains. Il se crée alors une structure de galeries dans lesquelles les futures racines se faufilent aisément. La terre est ferme mais pas compactée et permet même que l’on marche dessus.

L’autre bénéfice d’une terre non dérangée est qu’elle permet le développement des mycorhizes qui, à leur tour, favorisent l’échange d’éléments nutritionnels entre racines et champignons présents dans la terre. Or le bêchage détruit en partie les champignons et donc les mycorhizes, et la terre met du temps à recréer cet équilibre fragile. Depuis quelque temps, on peut d’ailleurs acheter des mycorhizes pour booster ses plantes. Mais pourquoi ne pas plutôt laisser faire la nature en se détendant près du feu avec un bon livre ?
A long terme, ne pas bêcher réduit la présence des mauvaises herbes. Car le bêchage est aussi un formidable travail de redistribution de plantes non désirées. (On peut très bien observer cela quelques semaines après un travail de motoculteur.) Mais lorsqu’on ne perturbe plus le sol, la réserve de graines (qui est quasi inépuisable !) n’est plus mélangée ni ramenée à la surface où elle trouverait les conditions idéales pour germer.
Comment faire ?
Avec tous ces avantages, on s’étonnerait que des jardiniers se cassent encore le dos, ampoules aux mains et sueur au front. Mais c’est qu’il y a tout de même une difficulté pour la mise en œuvre de cette technique. Afin que ça marche, il faut que la terre reste couverte de matière organique tout au long de l’année. Ce qui est dur ce n’est pas l’effort de pousser les brouettes pleines de compost, de fumier bien mûr ou de paille jusqu’au potager où il faut encore les étaler, mais d’avoir assez de ces matières à disposition.
La paille peut se trouver assez facilement chez un agriculteur voisin, mais elle présente l’inconvénient de fournir un excellent abri pour les limaces. C’est pour cette raison que je ne l’utilise que pour certaines cultures assez insensibles aux dégâts dus aux gastéropodes. Autre précaution : il faut veiller à rajouter un engrais azoté (comme du sang séché par exemple) pour pallier « la faim d’azote » générée par la décomposition de la paille.
Le fumier doit être bien mûr alors que le compost peut être apporté assez jeune. Tous ces paillages sont à mettre en couche épaisse d’environ 3 à 5 cm. L’idée étant d’empêcher les mauvaises herbes de germer, de retenir l’humidité dans le sol, de nourrir le sol en humus et de favoriser le développement des mycorhizes. Fumier et compost sont censés abriter moins de limaces mais en 2014 la plaie était telle que je n’ai pas vu une grande différence.

Dans mon jardin, il était nécessaire de créer des buttes légèrement surélevées pour permettre un meilleur drainage. Ces buttes mesurent environ 5 m sur 1,20 m pour une accessibilité facile. Entre les buttes, il y a des petits passages permettant les travaux habituels. Dès la première année, j’ai constaté une amélioration de la structure du sol pourtant très argileux et compacté. Les légumes poussent très bien, même si en été j’ai parfois l’impression que c’est sur du béton. Les pommes de terre ont eu un peu plus de mal mais je reste confiante qu’avec le temps le sol sera plus souple pour leur culture.
Pour en savoir plus :
Un livre explique très bien la culture sans labour : Jean-Marie Lespinasse, Le jardin naturel, Rodez, Edition du Rouergue, 2006. M. Lespinasse jardine sur un sol pauvre et sec, mais sa méthode marche aussi dans le Perche.
Charles Dowding est le « Pape » anglais du « no dig » (non retournement). Il vient de sortir un livre sur la création d’un nouveau potager avec cette méthode : Charles Dowding, How to create a new vegetable garden, Producing a beautiful and fruitful garden from scratch, Cambridge, Green Books, 2015. Pour l’instant pas traduit en français.
joli !! mais quel courage tu as pour ce grand jardin.
j’ai hâte de découvrir tes recettes
A bientôt
Quel bonheur de lire ces lignes! Des paillages, des vers, et la bêche au placard. Je suis bien d’accord: le jardinage n’est pas une tâche de forçat si on accepte l’aide de la nature.